Visite artistique à Paris
Il y eut la découverte du métro et des numéros de ligne avec leur destination. Il y eut la peur de certains élèves d'abandonner leur valise pour pouvoir descendre à temps et celle de rester seul à quai.
Il y eut le lieu privilégié de l’accueil d’une auberge à la salle de cantine voûtée, d'un vieil hôtel particulier parisien du XVII ème siècle, l’Hôtel Charpentier.
Il y eut la descente de la Seine à pied jusqu'à la statue d'Henri IV, son éternel pigeon pour couvre-chef et son square du vert galant. Il y eut cette arrivée à Paris où nous nous sentions déjà un peu chez nous. Il y eut la lumière dorée sous le saule et des jeunes gens qui jouent et se photographient sous les branches. Il y eut la remontée glaciale de la Seine sur le bateau mouche et les premiers ravissements sous les ponts de Paris.
Il y eut la tentative d’épuisement d’un lieu parisien en déambulations dans le quartier latin et le rendez-vous des élèves et de leurs professeurs au café de la mairie, le préféré de Georges Perec. Il y eut la déception de ne pas pouvoir manger de crêpes au café de la mairie et la conscience que la consommation d’un café ou d’un chocolat chaud augmente le sens de la valeur des choses. Il y eut l'expérience monumentale du Panthéon et de l'aura des Invalides. Il y eût même un ancien élève de Saint Joseph qui vint nous retrouver devant l’Eglise où Delacroix a peint le combat de Jacob avec l’ange. Il y eut des miracles un peu tous les jours.
Il y eut une émission de radio associative dans le 11 ème arrondissement avec le groupe des élèves engagés humanitairement au Népal. Il y eut la joie et la fierté de parler de ce que l’on sait faire et pourquoi on s’engage à 16 et 17 ans. Il y eut la force de raconter un voyage qui nous surprend, nous remue et nous fait, tous, étrangers et nouveaux devant le monde que l’on croit connaître et maîtriser. Il y eut la visite du musée de l’immigration à la porte Dorée et le bouleversement devant la lutte politique et artistique des artistes dissidents chinois contemporains. Il y eut, le soir, des jeux d’équilibre sur les colonnes de Buren et une question philosophique d’importance -les machines pensent-elles?- résolue le temps d’une pièce de théâtre: la machine de Turing au théâtre du Palais Royal.
Il y eut la découverte émerveillée de Gilles Aillaud au centre Georges Pompidou et la conscience très claire que l’homme est un animal comme les autres et qu’il doit se faire discret dans la nature et devant les oeuvres. Ainsi, d’autres miracles se produisent: on observe des élèves émerveillés longtemps, assis, silencieux ou dessinant seuls ce qui les touche. Il y eut des photos en noir et blanc et des élèves souriant dans les escalators, montant et descendant dans les tubes à la recherche d’un émerveillement. Il y eut des élèves - “attendez madame”- qui avaient encore un truc à voir.
Il y eut, Orsay le matin pour nous tous, seuls ou presque, le dernier Van Gogh et les oeuvres prêtées que nous ne reverrons peut-être jamais plus. Il y eut le Louvre, expliqué de long en large par madame Caillou Baudouin, Sardanapale, le radeau de la méduse, le sacre de Napoléon et le malaise dans la foule que l’on soigne en s’allongeant devant la diseuse de Bonne aventure de Caravage.
Il y eut l’émotion devant les Nymphéas de Monet et la découverte de l’actionnisme viennois.
Il y eut la neige tombée pendant la nuit pour que Montmartre soit à la hauteur de notre désir de beauté. Il y eut le héros du jour interviewé par M6. Il y eut les chats de Steinlen et le musée de Montmartre. Il y eut le mystère de l’atelier de Suzanne Valadon. Il y eut une guide étudiante en histoire de l’art passionnante qui nous parla même d’un tableau rare de Degas, le bureau de coton à la Nouvelle Orléans exposé au musée des beaux arts de Pau.
Il y eut le temps de l’autre grâce: une ballade de Chopin jouée par un élève sur le piano pas si mal accordé du restaurant des chimères puis celle de la sonate 13 en si bémol majeur de Mozart sur le piano-marteaux démembrés de l’auberge et le public de toutes les nationalités qui s’émerveille de ce qu’encore, la musique se joue sur des instruments!
Il y eut la fondation Vuitton et la perplexité de la plupart devant les oeuvres de Rothko. Il y eut beaucoup de mèmes sur le groupe de classe pour rire de cette perplexité et de cette incompréhension devant l’abstraction. Il y eut aussi une attention sensible et patiente, un désir de se laisser toucher par l’histoire d’un artiste et l'expérience si vaste et étonnante de cette peinture vouée non aux couleurs mais à la lumière.
Il y eut une rencontre dans un troquet avec une illustratrice pour enfants. Il y eut la vie en rose au troquet la favorite de la rue Saint Antoine.
Il y eut le musée de la chasse et de la nature et le festival lire la nature. Il y eut des discussions houleuses sur l’éco-féminisme, sur Simone de Beauvoir et sur Lauren Bastide. Il y eut les facéties de madame Recalt devant les ours blancs empaillés et le rêve pyrénéen de toujours rester montreur d’ours.
Il y eut des élèves qui utilisent leur pass culture pour acheter des livres. Il y eut des élèves qui remercient sincèrement. Il y eut ceux qui errent place des Vosges à la recherche de la maison de Victor Hugo. Il y eut ceux qui allèrent- librement- jusqu’à la Bastille et au canal saint Martin. Il y eut celles qui posèrent devant la rue du Béarn.
Il y en a eu qui furent malades pendant et après car il faisait très, très très froid.
Il y eut ceux et celles, qui prêtèrent leur pull, leur parka ou leur doudoune.
Il y eut un soir, il y eut un matin et c’était très, très, très bien.